Le flot :

La première fois que j'ai assisté à un slam, je vous avouerais que cela m'a plu. J'ai rien compris, mais c'était chouette! Je me suis promis qu'un jour j'essaierais, et que j'y arriverais, peut-être...

Une heure et deux mies de pain sur la planche en perspective, à observer mes fringues s'écharper, les cols avaler les manches pour le coeur d'une machine à laver. On était dimanche, et j'étais en partance pour une laverie automatique. Je n'avais toujours pas de sujet pour mon slam, je me suis dit "cool! j'en profiterais pour le préparer!"
Certains pensent que le texte est un prélude, d'autres que c'est un pretexte et l'éludent. Moi, j'élucide mon cas perso, avant de partir il me faut une mine et des feuilles vierges recto-verso. Mon paquet de sapes sur le dos, direction la place des Lices. Ca ne tarde pas, au bout de cinq minutes, on m'accoste, et c'est pas la police.
"Pss... tu cherches une mine, man? J'en ai de toutes les qualités, de la bleue, de l'orange, de la couleur herbe. J 'ai même un marqueur qui vient d'Amérique, on l'appelle l'american." Je me retiens, faut pas qu'j'ricane. Je rajuste mon baluchon, remarque que sur le capuchon, on peut lire "made in japan". "Ouais, c'est un produit en featuring, c'est pour faire des calligraffitis. C'est une mine en graphite". Mais autour de quelle planète il gravite?
Mon choix se porte avec gravité sur une petite qui ne paie pas de mine, discrète et idéale pour au boulot se faire une ligne, quand les autres ont le dos tourné ou sont encore à la cantine. Avec ça, je lui taxe des feuilles. Cent-quatre-vingt-douze, avec du carton, prévoyant comme l'écureuil, mes fringues et moi nous repartons.

J'arrive à la laverie, et j'ai toujours pas de sujet. Ca me met en stress, la pression est de mise. C'est le syndrome de la feuille blanche tandis que j'enfourne mes chemises. Le cachet de mon esprit est en effervescence, tous mes sens s'affutent. Faut qu'j'trouve une idée intéressante avant de finir de mettre mes futs. Ca défile à toute berzingue sans laisser de traces, faut que je stipule que je n'ai toujours rien trouvé et que j'en suis déjà aux pulls.
Oh, cette histoire me prend la tête, j'vais être obligé de placer un -bip-...
A tout à l'heure, chaussettes. Prenez bien soin de mes slips.
Tout y est, je ferme, mets la lessive et les pièces dans la cage. Je push the button, et la machinerie s'engage.

Je regarde au travers du hublot.

J'ai l'impression de voir tourner la Terre.

Avec toutes ses étendues d'eau.

Ses habits tant de toutes les couleurs.

Avec chacun son propre, enfin pas encore tout à fait, langage.

Son patchwork de tissus aux coutures douceureuses. Ses déchirures, ses aspérités rugueuses. Ses fermetures éclairs...

Et voila que tout s'accelère. Le langage devient chaos. J'me frotte les yeux, c'est moi ou tout à coup ca devient beau? Et comment ils faisaient au temps de Rimbaud, sans machine pour laver leur laine? Et le pire, c'est que c'est jamais deux fois la même chose, écéjamédefoalamèmchos, écéfoalachosemèmméja, étiensasémonpyjama, et d'un coup ça s'arrête|


so--ché--ma--jaof'mè--ma--lé--dé--cé
soch'mè-malao-fédéma-jécé, sochmèmalaofédémajécé, sochmèmalaofédémajécé|


Et ça reprend, j'ai rien compris, mais c'était chouette! C'est à ça que j'veux que ressemble mon slam, un truc qui te scotche et qui fouette, à en devenir hypnotique, un pur fatras frénétique, de la bombe de balle de calgonite, à ébouriffer Superman. J'veux qu'l'essorage soit dans l'programme, et que ça monte tambour battant, que ça donne envie de faire tourner, un effet ou la tête fait l'tour du nez. J'veux qu'ça vrille et qu'cela mène à ça, j'veux qu'ça STRIE et qu'ça fasse BAM!, j'veux qu'ça CRIE et qu'ça déclame, qu'ça vous plie et qu'ça vous repasse l'âme, j'veux...

J'ai toujours pas trouvé de sujet, mais je sais ce que je veux. Je veux que ça fasse "slam".