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Un épais brouillard s'était emparé de l'habitacle de la Rover.
Il était difficile pour Harry de déterminer si sa vision de nuages blancs n'était qu'un phénomène neurologique accompagnant sa lente reprise de conscience, ou si des vapeurs s'échappaient du moteur en profitant de l'énorme trou apparu sur le pare-brise. Cette question taraudait lentement son esprit brouillé, désorienté par l’angle prononcé qu’avait pris la voiture en s’immobilisant. Puis il se demanda ce que
Cheryl!
Retrouvant dans une subite montée d'adrénaline toute sa lucidité, il se retourna théâtralement vers le coté passager, où Cheryl était attachée, pour constater de visu ce qu'il avait ressenti depuis le début. Elle n'était plus sur son siège. Mon bébé, n'est pas sur son siège. Avais-tu A-t'elle été heurtée, peut-être broyée, non, garde la tête froide, ne panique pas, il n'y a aucune trace de sang. Avais-tu mis ta A-t'elle été éjectée au travers du pare-brise, non, sa ceinture de sécurité l’aurait retenue. Harry constata que celle-ci était pendante, défaite, et, l'examinant furieusement, sans la moindre trace de dégradation. Cheryl, oh mon dieu, avais-tu mis ta ceinture?
La portière du coté passager, grande ouverte, ne faisait pas plus la démonstration d'avoir été forcée ou bien déformée. Harry rassembla toutes ses forces pour se concentrer sur l'hypothèse qu'il choisirait être la plus rationnelle. Cheryl s'était dégagée elle-même de la voiture, et s'était éloignée. Elle avait probablement paniqué après le choc, devant son père évanoui, et avait, bravement, pris l'initiative de la recherche de secours.
Harry respira profondément, et tenta de faire un point sur la situation qui ne donnerait pas de prises faciles à trop de conjectures morbides. Il était préférable de ne pas penser au pire, de l'occulter pour conserver ses capacités à réagir et à reprendre le dessus. Ils avaient eu un accident, la voiture avait défoncé le parapet lorsque Harry avait voulu éviter une jeune fille qui déambulait sur la route. Ils avaient dévalé quelques mètres en contrebas, la pente n'était pas très forte, et ils avaient dû finir contre cet arbre après avoir été ralenti par la végétation. Harry regarda sa montre digitale, brisée en milieu du cadran.
Le jour s'était levé, ainsi qu'un brouillard intensément dense. Dehors, les rayons du soleil étaient partout brisés par le prisme de l’humidité, étalant uniformément leurs photons dans une opacité blanche. Il semblait également qu’une neige fine se confondait en tombant avec le brouillard. Contrairement au brouillard, la neige n'était définitivement pas de saison, pour ce que Harry en savait.
S’éloignant de la voiture, Harry commença à crier au loin « Cheryl!» plusieurs fois, en prenant soin de tendre l’oreille entre chaque appel. L’air délivrait un silence compact qui étouffait l’écho de sa voix. Il lui fallait donner une attention particulière à ses déplacements, car derrière lui la Rover s’effaçait rapidement sous les vapeurs d’eau, à chacun de ses pas. Bientôt, elle disparut complètement et Harry ne fut plus entouré que d'un halo blanchâtre. Il entendit une succession de bruits, qu’il reconnu -espérait- être des pas. Harry se mit à courir en direction des bruits, sans se demander si le brouillard ne lui jouait pas un nouveau tour en réfractant quelque onde sonore comme il le faisait avec les rayons de soleil. Les pas, c’est certain maintenant étaient de plus en plus proches.
L’horizon -quel horizon? Je ne distingue même pas de ligne de fuite- s’éclaircit sous sa course. Bientôt des murs se dessinèrent derrière les flocons. Des marques blanches apparurent sur les sols, et les pas de Harry butèrent sur des trottoirs. Harry comprit qu’il avait atteint les premières rues de la ville de Silent Hill. Il courut le plus vite qu’il put. Les bruits ne se rapprochaient plus, et bien que leur rythme évoquait un pas calme et lent, Harry ne parvenait pas à les rattraper. Les bruits s’engouffrèrent dans une petite ruelle coincée entre deux bâtiments. La ruelle n’était pas assez étroite pour que le brouillard s’y installe pleinement, et Harry parvint à y discerner une silhouette immobile.
« Cheryl, c’est toi ? » s'efforca-t'il de crier le plus calmement du monde en progressant dans le cul-de-sac. La silhouette était bien celle d’une enfant. Harry tenta de la dévisager sans laisser son imagination conditionner sa vision. L’espace d’une seconde, il eut la certitude que les traits de sa fille était apparus en surimpression sur l’amas informe et nuageux. Puis ceux-ci se brouillèrent.
« Cheryl, c’est Papa ! » continua Harry. « Tout va bien, je suis là ! Ne bouge pas, j’arrive ».
Lorsque Harry fit le premier pas vers elle, Cheryl fit volte-face et se mit à courir. Elle s'effaça aussitôt. Sans réfléchir, Harry se rua vers elle. Au bout de la ruelle, un cliquetis le dirigea vers un portail rouillé, qui couinait encore d’avoir été entrebaillée. Cheryl venait de l’utiliser pour disparaître dans une petite rue qui desservait les arrières-cours de quelques appartements. Avait-elle pris son père pour quelqu’un d’autre ? Harry n’avait jamais imaginé que lui et Cheryl se retrouveraient un jour dans ce genre de situation, et encore moins la réaction de sa fille : la fuite. Harry passa le portail, sur lequel figurait l’écriteau :
« Attention au chien »
Dans un lieu si étroit,
l’emprise du brouillard était devenue beaucoup moins puissante, et on pouvait y
distinguer son environnement avec une précision presque raisonnable. De sacs de
poubelles éventrés gisaient ça et là et des grillages métalliques poussaient de
manière anarchique autour des cours de différentes copropriétés pour
s'enchevêtrer les uns aux autres. Harry progressa dans la rue qui faisait de
sinueux détours mais ne traçait toujours qu’un unique chemin. A chaque
tournant, l’exiguïté et la hauteur des bâtiments entre lesquels s’enfonçait
Harry augmentait, de sorte que la lumière naturelle peinait de plus en plus à
l’éclairer. On se serait bientôt cru en pleine nuit. Harry dû sortir et
baptiser le briquet porte-bonheur qu’il portait occasionnellement sur lui.
Lorsqu'il l'actionna, les flammes vacillantes et jusqu’aux étincelles se mirent
à projeter des ombres inquiétantes. Au loin, un faible crissement montait dans
l’air. Avançant précautionneusement, Harry découvrit une chaise roulante,
renversée et accidentée, dont une roue était entrée dans une phase
d’oscillation infinie, malgré le frottement d’une sonorité plaintive et
régulière qui déchirait le silence. Les gens jetaient n’importe-quoi
n’importe-où, à moins qu'un clochard impotent, commenca Harry. Ou...
La rue n’était plus
désormais délimitée que par deux longs grillages métalliques espacés de
soixante centimètres tout au plus, et au travers desquels la vue de Harry était
refoulée sans condition par l’obscurité. La pénombre régnait complètement. Il
avait mal au pouce à force d’actionner son briquet. Au loin, une sirène de
couvre-feu se mit à sonner. A une dizaine de pas, les grillages se tordaient
pour cloisonner un espace plus large, circulaire. Un brancard était disposé en
son centre. Un lit largement surélevé, à roulettes, un lit d’hôpital, sans
hésitation. Ce dépotoir marquait la fin de la ruelle. Mais les bourdonnements
le firent comprendre à Harry plus vite que le reste.
Des insectes, d’énormes
mouches, virevoltaient près de la flamme du briquet. Harry s’aperçut que bien
d’autres insectes bruissaient non loin. Dans une danse chaotique, tout un
essaim décrivait des orbites autour d’un corps, couvert d’un drap, qui reposait
sur le matelas du brancard. Des taches étendues formaient des cercles
concentriques de sang au milieu du drap. Harry eu une violente nausée, mais ses
jambes continuèrent machinalement d’avancer vers le lit. L’odeur se
matérialisa, immédiatement suffocante. Une des pensées claires et rationnelles
de Harry fut qu’il ne voudrait jamais lever le voile sur la masse suintante
couchée devant lui. Cependant, l’odeur qui perturbait la respiration de Harry
ne venait pas de cette masse. Derrière le brancard, le dernier mur de barbelés
clôturait définitivement tout parcours. Pendu à ses fers, une mass entièrement décharnée
prenait une position de croix. Son bassin raccourci terminait sur un estomac, des tripes pendantes et étirées en guise de membres inférieurs. A ce moment,
Harry aurait dû vomir toute sa bile, mais un bruit effroyable immobilisa tout
les muscles de son visage. Les yeux révulsés, Harry se retourna.
La vision
cauchemardesque d’un
Qu'est-ce que?
être monstrueux, immonde mais
vivant, décharné tout comme le corps derrière lui, avançait avec lenteur. Ses bras
traînaient lourdement par terre, alourdis par de gigantesques griffes aiguisées
et ruisselantes comme des couteaux de boucher. Derrière la bête deux ombres
identiquement menaçantes se rapprochaient. Harry, tétanisé, ne fit aucun geste
pour éviter le premier coup de griffe. Il n’émit aucun cri lorsqu’il vit la
lame fondre vers son abdomen.
Thème inspiré par Bryan Bell.